Une exposition à Vannes avec Jacques Poullaouec
Le titre de notre exposition est emprunté à un fragment du « Livre de l’intranquillité » de l’écrivain portugais, Fernando Pessoa (1888-1935).
« Voyager ? Pour voyager il suffit d’exister… Si j’imagine, je vois. Que fais-je de plus en voyageant ? Seule une extrême faiblesse de l’imagination peut justifier que l’on ait à se déplacer pour sentir… La vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons, mais de ce que nous sommes. »
Le voyage peut emprunter différentes formes : le voyage réel, bien sûr. Mais se déplacer dans l’espace et dans le temps est aussi à la portée de chacun de nous, voyageurs immobiles. Pour cela il suffit de rêver ou de se laisser emporter dans le rêve et la rêverie par un livre, par un film, par une œuvre d’art. Pessoa, en portugais, signifie « personne » ; à force d’être personne, on devient tout le monde et Fernando Pessoa a voulu devenir plusieurs personnes en écrivant sous 76 pseudonymes qu’il a appelés « hétéronymes ». Il se dilue donc dans différents personnages de papier qui regardent et décrivent le monde, chacun à sa manière. Il se crée un petit théâtre mental où il est à la fois auteur, metteur en scène et personnages. Nombreux paysages sont décrits à l’aide de sensations et deviennent des états de son âme.
Dans cette exposition, Pierre Converset et Jacques Poullaouec se proposent de vous faire voyager dans des paysages-états d’âme : l’un avec ses peintures à l’encaustique ou ses aquarelles où l’écriture s’oriente vers un effacement progressif ; l’autre avec ses gravures qui fouaillent le paysage à coup de pointe sèche ou d’acide nitrique. Cette invitation au voyage vous ressemble car nous sommes encadrés dans notre analogie. En effet si un tableau peut nous faire voyager, nous devenons le peintre et la peinture elle-même. Regarder une peinture, c’est pénétrer dans un espace. On fait les yeux petits pour voir grand, on « s’élargit », on se libère. Dès lors le faux problème de l’abstraction ou de la figuration ne se pose plus. Le peintre s’est totalement figuré dans ce tableau que vous regardez : Léonard de Vinci parlait de cosa mentale, d’autres ont choisi les termes d’inscape ou de mindscape.
Il ne s’agit plus pour l’artiste de figurer ou non le monde qu’il a sous les yeux mais de demander au « regardeur » de se figurer lui-même. Le regardeur-voyageur devient le voyage lui-même.
Jacques Poullaouec